Paru dans Libération
Si déjà en 2012, le Laboratoire de l’égalité interpellait les candidats à l’élection présidentielle pour signer leur «Pacte pour l’égalité», il renouvelle l’expérience aujourd’hui, en proposant une série de mesures qui rebattent les cartes.
Membres du Laboratoire de l’égalité, nous constituons un réseau de plus de mille femmes et hommes, de tous bords politiques et de milieux pluriels (recherche, associations, entreprises, fonction publique, médias, partenaires sociaux) engagé.e.s ensemble en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Nous voulons que les femmes passent de l’égalité en droit à l’égalité effective. C’est pourquoi nous demandons que ce qui est déjà inscrit dans les lois s’inscrive aussi dans les faits.
Certes, la question des droits des femmes a rarement été aussi présente dans le cadre d’une élection présidentielle, et jamais l’aspiration à l’égalité professionnelle ne s’était manifestée avec autant d’intensité dans notre pays. Nous nous en félicitons.
Ces dernières années ont connu des avancées incontestables mais, ce n’est un secret pour personne, de nombreuses inégalités subsistent : écarts de revenus, partage des tâches familiales, accès à l’emploi, déroulement des carrières, place congrue des femmes aux postes de direction, sexisme. On en passe.
Avec notamment comme conséquence la plus grande vulnérabilité économique des femmes qui constituent la majorité des responsables de familles monoparentales, des travailleurs pauvres, des petites retraites, des bénéficiaires du minimum vieillesse alors que 60% des diplômé.e.s des universités européennes sont des femmes et que toutes les portes leur sont en théorie ouvertes. Alors, comment passer enfin à l’égalité dans les faits ?
Nous pensons que pour parvenir à une égalité réelle entre les femmes et les hommes, il faut poser les fondations solides de trois chantiers majeurs intégrés dans un plan stratégique ambitieux pour le prochain quinquennat.
Modification de la Constitution
Nous suggérons d’abord de modifier le premier article de notre Constitution. Il indique actuellement que «la loi favorise l’égal accès, des femmes et des hommes, aux mandats électoraux et fonctions électives ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales». Pourquoi ne pas remplacer «favorise» par «garantit» et stimuler ainsi d’ardentes obligations ?
Nous demandons ensuite de rétablir un ministère des Droits des femmes de plein exercice et de le rattacher au Premier ou à la Première ministre avec des moyens conséquents. Tant que l’égalité demeure encore un objectif à atteindre, il est indispensable.
Sur cette base, les trois chantiers que nous avons identifiés doivent être engagés simultanément, le succès des uns conditionne celui des autres.
Parce que l’autonomie économique est le gage de l’indépendance réelle des femmes et de leur liberté de choix. Parce que l’accès des femmes aux responsabilités est juste, et qu’il est profitable à tous et toutes que les femmes décident à égalité dans une société composée à égalité de femmes et d’hommes. Nous proposons un plan de suppression à cinq ans des inégalités de salaires incluant la refonte de la classification et de la valorisation des postes afin de permettre l’application du principe «un salaire égal pour un travail de valeur égale», la publication annuelle des statistiques de salaires genrées par les entreprises et le renforcement des contrôles (et des sanctions) pour l’application des dispositifs existants.
Nous plaidons également en faveur de la mixité des métiers, source de performance individuelle et collective, pour la suppression des mécanismes qui favorisent le temps partiel et pour l’individualisation de l’impôt afin qu’il soit proportionnel au revenu réel de chacun.e. Les femmes éloignées de l’emploi appellent un accompagnement individuel et des mesures spécifiques en faveur de leur insertion professionnelle. Nous attendons un véritable «Grenelle» contre la précarité et l’insécurité de l’emploi des femmes.
L’Etat doit donner l’exemple en matière de parité. Pour qu’elle devienne une réalité dans les hémicycles, nous réclamons le non-cumul des mandats aux fonctions électives et dans le temps, l’instauration de binômes paritaires pour les élections législatives et sénatoriales et la suppression du financement des partis politiques qui ne respecteraient pas la règle de la parité pour les postes élus.
La révolution des temps de vie
L’égalité passe enfin par une révolution de notre conception des temps de vie et une transformation de nos modes de fonctionnement. Il est indispensable de lutter contre la culture du présentéisme au travail qui est non seulement un obstacle à l’égalité professionnelle, mais également une source de souffrance au travail pour les hommes et les femmes.
Parce qu’il n’est plus concevable de prétendre ignorer les immenses difficultés de garde que rencontrent les parents d’enfants de moins de trois ans et les conséquences qu’elles induisent sur la carrière et la situation économique des femmes, nous demandons la création d’un véritable service public de la petite enfance et d’un droit opposable à l’accueil des enfants de moins de 3 ans.
Il faut enfin permettre l’avènement d’une paternité active dans le cadre d’une parentalité dynamique et partagée, en instaurant notamment un congé parental partagé égalitairement entre les deux parents et non transférable d’un parent à l’autre, ainsi qu’un congé paternité de quatre semaines.
La construction d’une culture de l’égalité durable
Dès la petite enfance et tout au long de la vie, l’école républicaine est au cœur du projet pour éliminer les stéréotypes de sexe dans la société : en finir avec la dictature du rose et du bleu, avec les stéréotypes «moi Tarzan, toi Jane». Nous réclamons la réforme des contenus pédagogiques qui font l’impasse sur les femmes. Nous pensons essentielle la sensibilisation et la formation à l’égalité des enseignant.e.s et des personnels éducatifs tout au long des cursus scolaires et universitaires, en associant les parents dès l’origine. Pourquoi pas la création d’un Observatoire du sexisme à l’école ?
Les médias, vecteurs ô combien porteurs de la représentation du monde, font la part trop belle aux représentations de mâles forts et experts et de femmes belles, jeunes et bien souvent muettes. Ils ne peuvent échapper à une remise en question des stéréotypes dont ils nous abreuvent. Les pouvoirs et les moyens du Conseil supérieur de l’audiovisuel méritent d’être renforcés, ainsi que sa capacité de sanctionner directement les publicités, les émissions, les séries ou les propos sexistes. Les médias sont des acteurs majeurs pour la construction d’une culture égalitaire et les supports web, plus particulièrement les réseaux sociaux, ne doivent pas être oubliés.
L’égalité, une valeur phare
Mesdames et Messieurs les candidat.e.s à la Présidence de la République, d’où que vous parliez, soyez conscient.e.s que l’égalité entre les sexes n’est pas une question «de femmes». C’est fondamentalement une question de justice et d’éthique. C’est aussi une source d’équilibre et de richesse. L’égalité professionnelle est bonne pour les hommes auxquels elle offre de nouveaux possibles, elle est bonne pour l’équilibre des relations et des responsabilités entre les sexes dans les couples, dans le monde du travail et le monde politique qu’elle enrichit de nombreux talents. Elle est incontournable pour recruter et conserver les jeunes générations. C’est une question de société. L’égalité par et pour les femmes et les hommes.
En 2012, le Laboratoire de l’égalité faisait signer son «Pacte pour l’égalité entre les femmes et les hommes» par la majorité des candidat.e.s à l’élection présidentielle. En 2017, nous renouvelons l’expérience. Avec un Pacte actualisé à la lumière des acquis du dernier quinquennat et des espaces qui restent à conquérir. Pour que l’égalité entre les femmes et les hommes soit enfin une réalité, il faut rebattre les cartes. Mesdames et Messieurs les candidat.e.s, signez notre Pacte.
Signataires : les membres du Laboratoire de l’Egalité, Annie Batlle, Arnaud Bihel, Patrick Boccard, Valence Borgia, Nataly Breda, Stéphanie Chasserio, Didier Chavrier, Jeanne Fagnani, Pierre-Yves Ginet, Corinne Hirsch, Estelle Molitor, Nathalie Nouette-Delorme et Olga Trostiansky.