« Pourquoi cette persistance de la hiérarchie homme/femme? » comprendre les origines et agir.
FEMMES 3000 a eu l’honneur de recevoir deux figures importantes du Féminisme Universaliste pour nous éclairer sur le Droit des femmes en France et par delà nos frontières.
Marie-Claude BERTRAND, Présidente du CNFF Conseil National des Femmes Françaises, Coordinatrice communication du Conseil International des Femmes (CIF), représentante du CIF à l’UNESCO, également engagée au sein de l’ONG Soroptimist International depuis 1985, dont elle a été présidente nationale et Vice présidente de la Fédération Européenne, élevée au grade de chevalier de la légion d’honneur en 2009.
Michèle VIANÈS, Présidente de Regards de Femmes, essayiste, spécialiste des questions d’égalité F/H et du combat pour la déclaration de naissance de chaque enfant dans le monde, membre du comité Exécutif du CNFF, chevalière dans l’ordre de la légion d’honneur, également chroniqueuse dans les Grands Matins week-end sur Sud Radio.
Retrouvez ci-dessous un extrait de l’entretien entre Michèle Vianès et Marine BERMOND sur le thème de « La persistance de la hiérarchie hommes/femmes. Comprendre les mécanismes pour pouvoir mettre en place les actions d’émancipation des femmes et lutter contre toutes les tentatives de régressions ». Cet extrait s’inspire également des écrits de Michèle Vianès et de son essai Un voile sur la République, Stock, 2004 :
Marine Bermond : Quelles sont pour toi les premières personnes qui se sont insurgées contre cette hiérarchie et ses conséquences ?
Michèle Vianès : Des femmes et des hommes ont dénoncé cette sujétion, de manière singulière d’abord puis collective.
Christine de Pisan 1364-1430, 1ère femme qui a vécu de sa plume « Le trésor des dames, » et en 1405 « La cité des dames » inspireront tous les essais qui paraitront au XVIème et XVIIème siècle et au-delà.
« Si la coustume estoit de mettre les petites filles a l’escole, et que communément on les fist apprendre les sciences comme on fait aux filz, qu’elles apprendroient aussi parfaitement et entenderoient les subtilités de toutes les arz et sciences comme ils font. »
Elle fait appel à la raison pour déconstruire la misogynie de Jean de Meung et du Roman de la Rose au nom de « Raison, Justice, Droiture »
Louise Labé , la lyonnoise 1524-1566
Encore aujourd’hui certaines refusent de croire que la fille d’un cordier ait pu écrire les poèmes qui font d’elle la plus grande poétesse de la Renaissance. Je la cite non pas en tant que poétesse, mais pour son épitre dédicatoire à Clémence de Bourges lors de la publication de ses œuvres 1555 : « Estant le temps venu, Madamoiselle, que les severes loix des hommes n’empeschent plus les femmes de s’apliquer aus sciences et disciplines ».
Louise Labé a grandi et finit sa vie dans la Dombes, l’Académie de la Dombes m’avait demandé un article à son sujet pour leur revue que j’avais intitulé « L’étincelle féministe de Loise Labe, lyonnoise a-telle son origine dans la Dombes ? »
L’égalité qu’elle prône concerne toutes les femmes, quel que soit leur milieu social, universaliste déjà, et l’égalité entre femmes et hommes.
Elle souhaite que toutes aient accès à la connaissance pour « voir [notre sexe] non en beauté seulement, mais en science et vertu passer ou égaler les hommes ». Elle « prie les vertueuses Dames d’eslever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenoilles et fuseaus ».
Son testament prouve son féminisme : elle lègue aux femmes de toutes conditions de son entourage des biens matériels, pour leur permettre une certaine indépendance financière.
Marie de Gournay, fille spirituelle de Montaigne « Je dis que mâles et femelles sont jetés dans le même moule sauf l’institution et l’usage la différence n’y est pas grande » (1565-1645)
Je n’oublie pas les féministes au masculin.
François Poulain de la Barre dans son traité en 1673 « De l’Égalité des sexes » où justement il contre ce qu’il nomme le premier les préjugés et les motifs de l’asservissement des femmes, bien avant John Stuart Mill.
Helvetius ose affirmer l’égalité des H et des F. Il proclame que les différences de nature entre les sexes sont les effets de la différence d’éducation, que cette dernière doit être la même pour les garçons et les filles et dépendre de l’État. Son discours « De l’esprit » est donc logiquement condamné par le pape Clement XIII en 1759 et brulé par la faculté de théologie de la Sorbonne.
Mais ses idées sur l’éducation des filles sont reprises brillamment par Condorcet.
Condorcet affirme, (1790) que l’instruction doit être commune aux hommes et aux femmes, publique, laïque et gratuite. Et surtout que les hommes ne peuvent être libres et égaux si la moitié du genre humain n’est pas libérée de ses entraves séculaires. Il dénonce le rôle des prêtres : en soumettant la sexualité et l’esprit des femmes à une autorité qu’on ne leur demande pas de comprendre, ils les « préparent à la servitude forcée ou volontaire ».
MB : Comment est-on passé de révolte individuelle aux mouvements féministes prônant l’égalité entre les femmes et les hommes ? Quelles ont été les réactions à ces revendications ?
MV : Deux grands courants fondateurs de l’émancipation des femmes :
- La Réforme
L’espace ouvert par la Réforme préconisant la lecture individuelle de la Bible, a été une première boufféed’oxygène grâce à l’alphabétisation des filles, l’accès direct des femmes aux textes fondateurs de la religion, à la connaissance et à la réflexion.
Les femmes des pays protestants d’Europe du Nord ont initié la longue marche vers l’égalitéhommes/femmes. C’est paradoxal par rapport aux théories traditionalistes misogynes de Luther et Calvin,mais l’ouverture du protestantisme à la parole des femmes, les différentes fonctions dévolues aux femmesdes pasteurs vont permettre la naissance du féminisme protestant au XIX° siècle.
Démontrant a contrario les paroles de Paul de Tarse « Que les femmes se taisent dans les Assemblées ». Dèsque les femmes ont pu parler dans les assemblées, elles n’ont plus accepté d’être « soumises à leurs maris », comme le préconisait Luther.
2. La Révolution française
Héritière des Lumières, « la Révolution est le moment historique de la découverte par la civilisation occidentale que les femmes peuvent avoir une place dans la cité, et non plus simplement dans l’ordre domestique » Elisabeth Sledziewski.
Affirmer que le passé n’est pas immuable et l’avenir différent du présent légitime un espace de revendications pour celles qui refusent d’être soumises parce que femmes. Reconnaître le statut d’individus aux uns entraîne qu’il le soit à tous « quels que soient leur religion, leur couleur ou leur sexe » (Condorcet).
Au début la Révolution fut une embellie pour les femmes. Les femmes ont investi les tribunes du public des assemblées politiques, réclamé le droit de s’organiser en garde nationale, le droit de vote (idée partagée par Robespierre et Condorcet). Débats et Revendications sociales s’appuyant sur des principes politiques révolutionnaires réclamations sur la mixité (suppression des corporations). Elles revendiquaient en tant que citoyennes au travail.
Les lois de septembre 1792 établissent la laïcisation de l’État civil et le divorce : la femme peut choisir son mari et le quitter, les deux époux sont traités à égalité.
Mais l’immense majorité des Révolutionnaires est prise de vertige devant l’émancipation civile des femmes. La Convention ferme les Clubs de Femmes le 30 octobre 1793. Les Françaises sont renvoyées dans les bras des prêtres, leurs directeurs de conscience.
Si les femmes sont écartées, le combat pour la laïcisation de l’État se poursuit.
– En février 1795, Liberté des cultes et séparation de l’État et des églises.
– Concordat du 18 Germinal, an X (8 avril 1802)
-1804 Code civil aucune référence à la religion mais il inscrit dans la loi l’inégalité des H. et des F. par l’incapacité juridique et civile des femmes.
L’homme est « le juge souverain et absolu de l’honneur de la famille », le code admet que le mari peut joindre « la force à l’autorité » avec modération !
L’article 324, dit « article rouge » rend excusable le mari meurtrier de son épouse ou de l’amant lors d’un flagrant délit d’adultère. Pas de réciprocité dans l’indulgence pour la femme meurtrière. Ceci perdure dans de nombreux pays (crime d’honneur) soit dans la coutume, soit dans les lois.
Tout le long du XIX° siècle, siècle noir des femmes françaises, les femmes ne sont pas reconnues comme des individus, elles n’ont pas de place dans la citoyenneté universaliste et individualiste. Elles ne sont pas incluses dans le suffrage dit « universel » de 1848 de la République masculine. Fraternité Républicaine, c’est-à-dire ouverture à l’autre, rentre dans la devise républicaine mais ne s’applique pas aux femmes.
La République hémiplégique a perduré jusqu’en 1944 alors que dès 1885, Hubertine Auclert écrivait : « Il faut que les Assemblées soient composées autant de femmes que d’hommes ». Les Républicains craignaient un vote des femmes influencé par les prêtres, leurs directeurs de conscience
Il a fallu un siècle après les écrits de Condorcet pour que les grands républicains réalisent l’erreur.
Pour Jules Ferry « celui qui tient la femme tient tout, c’est pour cela que l’Église veut retenir la femme, et c’est aussi pour cela qu’il faut que la démocratie la lui enlève ».
Le combat pour l’école laïque devient aussi un combat pour l’instruction féminine : des filles à la conscience libérée -et non des porte-faix des religieux- dans un espace public, celui de la raison et de la tolérance réciproque, organisé en tant que tel.
La création de l’École laïque pour les deux sexes (loi du 2 mars 1882) est une première clé qui va permettre d’ouvrir aux filles l’accès à l’égalité des chances et à des diplômes ouvrant des carrières professionnelles impossibles auparavant.
Une génération après, le 9 décembre 1905, la loi de séparation des Églises et de l’État est votée. La séparation est indispensable : la religion qui relève de la foi, donc de l’invérifiable, n’a pas à inspirer les lois ni exercer de contrôle sur le politique. »